Au sommet du Tortolas, 6332 m. Derrière moi : le tas de bois inca. Février 1968
Je me propose de rédiger quelques articles sur un sujet que je connais assez bien, pour le site de la section et pour La Cordée. J'ignore si le thème peut intéresser certains clubistes et il me serait agréable d'avoir quelques retours car je ne désire pas encombrer nos moyens de communications avec un aspect de la haute montagne qui n'intéresse peut-être personne. Voici mon premier texte, un peu en guise d'introduction.
Dans ma jeunesse, je me suis beaucoup intéressé à l'archéologie : lorsque j'étais membre du Spéléo Club des Montagnes Neuchâteloises (SCMN), j'ai eu la chance de participer aux premières fouilles de la grotte du Bichon entre 1956 et 1958 où François Galley et Raymond Gigon avaient découvert une partie du squelette d'un homme de Cro-Magnon[i]. Avec des membres du SCMN j'ai aussi contribué à certaines recherches de moindre importance dans des abris sous-roche de notre région.
Au Chili, j'ai eu l'occasion de travailler dans des investigations de terrain, sous la direction du professeur Alberto Medina dans le sud du pays où nous recherchions des artefacts lithiques dans un amoncellement de vieux coquillages, sorte de décharge d'une tribu paléolithique, et avec Mario Orellana, doyen de la faculté d'archéologie à l'Université de Santiago, dans un abri sous-roche en plein désert d'Atacama où une fouille en profondeur nous dévoila des vestiges d'occupations entre le néolithique et les cultures protohistoriques du 15-16-siècle.
Mais c'est avec deux ami "andinistes", Sergio Kunstmann et Pedro Rosende qu'en 1968 nous prîmes la décision de monter au sommet du Tortolas (6332 m, à 500 km au nord de Santiago) afin de poursuivre et si possible achever les fouilles fructueuses réalisées par nos camarades de montagne, Krahl et Gonzales, quelques années auparavant.
A cette époque, tous les hauts sommets des Andes avaient été gravis par des alpinistes mais certains avaient réservé quelques surprises à ceux qui croyaient avoir réalisé une première. Plusieurs cimes entre 5000 et 6600 mètres d'altitude, réparties du nord au sud de l'ancien empire inca, avaient visiblement été visitées auparavant par d'autres êtres humains. En effet le point culminant d'une région recélait souvent une plateforme entourée de murets visiblement construits par l'homme. Et à quelques endroits comme au Tortolas, un tas de vieux bois sec. C'est dans les annales du Club Andin du Chili que certains récits de "premières" souvent réalisées par des alpinistes d'origine européenne, mentionnaient ces étranges constructions sommitales. Une recherche systématique permit de découvrir tout un réseau de lieux cultuels installés sur les plus hauts sommets des Andes, relativement proches les uns des autres.
Mais tout d'abord ce furent des chercheurs d'or, muletiers ou mineurs qui, aiguillonnés par l'espoir de découvrir le trésor de l'Inca[ii], grimpèrent sur quelques sommets afin d'y débusquer ce qu'ils cherchaient sans aucune méthode scientifique bien entendu et en utilisant parfois des explosifs comme au Doña Ana. (5600 m, Province de Coquimbo, Chili). Ce sont des muletiers, Chacon et les frères Rios qui, en 1954 mirent au jour au sommet du Cerro Plomo (5430 m, au-dessus de SantiagoI, le cadavre congelé d'un enfant d'une douzaine d'années, victime d'un sacrifice humain pratiqué par les Incas. Cette découverte, d'une importance primordiale permit une avancée considérable dans les connaissances de certains rituels de la religion de cette civilisation protohistorique. Certes, du point de vue de l'âge, la momie du Cerro Plomo n'est guère comparable à Ötzi ( -3300) puisqu'elle date du 15e siècle, mais comme le chasseur su Tyrol du Sud, le cadavre a été particulièrement bien conservé car il était enseveli au sommet d'une montagne où les températures sont en permanence bien au-dessous de 0°. Des analyses scientifiques très fouillées ont été réalisées sur les deux victimes et ont permis de reconstituer une bonne partie de leurs derniers jours.
Maurice Zwahlen
[i] Voir : La grotte du Bichon de François-Xavier Chauvière et al. dans Archéologie neuchâteloise N° 42 décembre 2008. ISBN 978-2-940347-41-4
[ii] Lorsqu'il fut fait prisonnier par Pizarro, Atahualpa, le dernier empereur inca offrit à son géôlier de remplir d'objets en or la grande pièce où il était détenu contre sa liberté. Mais le conquistador le fit exécuter après que la cellule fut remplie. Quelques derniers chargements précieux qui étaient en route ne parvinrent jamais à Cajamarca d'où le mythe du trésor introuvable de l'Inca.